#01- RIEL
Scénariste(s) : Thierry LABROSSE
Dessinateur(s) : Thierry LABROSSE
Éditions : Vents d'Ouest
Collection : X
Série : Ab irato
Année : 2010 Nb. pages : 54
Style(s) narratif(s) : Récit à suivre (1/3)
Genre(s) : Anticipation
Appréciation : 4.5 / 6
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2111 : Montréal à feu et à sang?
Écrit le jeudi 31 mars 2011 par PG Luneau
En lisant Ab Irato, le dernier album de Thierry Labrosse publié chez Vents d’Ouest, on finit par assez bien comprendre le sens de cette expression latine, surtout quand on est un cruciverbiste habitué d’inscrire «I-R-E» en réponse à la définition «Colère». Malgré que je n’ai jamais fait de latin (un de mes plus grands regrets!!), j’en déduis que l’irato en question est en lien avec la colère, la révolte, la rébellion… Et, de fait, le contexte du récit confirme assez bien mon interprétation intuitive de la chose!
Nous sommes en 2111, alors que les calottes polaires ont fondu considérablement et que le niveau de la mer est monté au point de noyer les rues de plusieurs grandes villes côtières et fluviales. Riel Beauregard est un jeune bellâtre qui vient de quitter sa campagne inondée par ces eaux pour chercher fortune dans la grande ville. Il débarque donc à Montréal au moment même où celle-ci est échauffée par les revendications de plus en plus viscérales d’un gigantesque regroupement de chômeurs et de nécessiteux qui a pris les armes et assiégé le carré Viger pour exiger le respect de leurs droits fondamentaux. Tout est sur le point de partir en vrille, la révolte gronde, l’ire veille : Ab irato!!
C’est que les inégalités sociales ne se sont pas atténuées depuis cent ans, bien au contraire. Par exemple, même si Jouvex, une compagnie pharmaceutique très hautement cotée, a découvert un vaccin pour régénérer les cellules et prolonger la vie, seule une minorité de très favorisés a les moyens de se payer la dite cure de jouvence! Le petit peuple, très fortement majoritaire, n’en peut plus d’être saigné à blanc et de survivre, sans emploi et sans le sou. Les policiers surveillent ce groupe de rebelles depuis des semaines, mais tout risque de péter d’ici peu. C’est dans ce contexte que le beau Riel descend du train suspendu et qu’il se jette, naïvement, dans la mêlée, sans trop comprendre ce qui se passe. Il est vrai que le hasard lui fait croiser, le même jour, une des leaders des rebelles, un des chefs policiers les plus engagés et… une charmante jeune de son âge, qui ne le laisse pas indifférent! De quel côté Riel sera-t-il entraîné? Et, surtout, de quelle manière? C’est sûrement ce qu’on découvrira dans le tome #2.
Après avoir dessiné les cinq tomes de la série de S.F.-fantastique Moréa (qu’il me tarde à lire), aux éditions Soleil, monsieur Labrosse fait maintenant cavalier seul pour concevoir et le dessin, et le texte de cette nouvelle série. Côté graphique, il a fait un travail plus qu’honnête. Ce Québécois nous offre toujours des dessins très solides, nets et précis, mais assez sobres, si je puis dire. À moins que ce ne soit les teintes de bleu gris, de beige et de turquoise qui donnent un côté un petit peu trop sage à l’ensemble, ce qui détonne un peu de la rudesse du propos?
Sur le plan du scénario, la mise en place de cette nouvelle série s’avère intéressante, crédible et juste assez touffue pour promettre beaucoup tout en restant compréhensible. C’est, je vous le rappelle, tout un défi, car je suis facile à confondre et à mêler, petite tête oblige!! Si je m’y retrouve, c’est que c’est intelligemment raconté. On retrouve une belle brochette de personnages secondaires, sans trop savoir encore lesquels ressortiront du lot, ni lesquels seront les bons et lesquels, les méchants!! Ça fleure très bon pour l’avenir!!
Je salue donc avec grand plaisir cette nouvelle série qui saura, à n’en point douter, me ravir, et je félicite monsieur Labrosse pour son talent indéniable qu’il a su faire éclater au sein même des maisons d’éditions du vieux continent, malgré l’incroyable concurrence qui y sévit. Vivement le tome #2!
Plus grandes forces de cette BD :
- la délicatesse des traits des visages. Labrosse maîtrise l’art de dessiner de beaux faciès, très réalistes, avec un raffinement dans le trait qui n’est pas sans rappeler Servais. Il pourrait facilement être portraitiste.
- un langage où on se reconnaît, en tant que Québécois. Malgré quelques «C’est quoi, ce bordel!» plus franchouillards, on a droit à des structures de phrases, des expressions et des anglicismes bien de chez nous, comme : «Ça écœure!», «Yes sir!», «Hé, champion!», «Beau, bon, pas cher!», «Fuck!» ou «Hey!»…
- des lieux, des institutions et des symboles bien de chez-nous. Quel plaisir de reconnaître Montréal, de SE reconnaître à travers cette ville, même s’il s’agit d’un Montréal futuriste et à moitié immergé par les eaux du fleuve. On se promène du carré Viger au métro Papineau (avec le logo de notre métro!), on reconnaît le pont Jacques-Cartier au loin (ou plutôt ce qui en reste!) et l’oratoire Saint-Joseph... Certains quartiers semblent avoir changés (Labrosse fait ressembler certaines rues au Red Light d’Amsterdam), mais je me plais à vouloir repérer dans la ville actuelle certains bâtiments (comme le restaurant le Grill à Gilles?) ou certaines prises de vue utilisées par le dessinateur!
- le héros. Comment ne pas s’attacher à ce sympathique naïf? C’est vraiment par l’entremise de son regard ébahi par la grande ville et les événements qui s’y déroulent qu’on découvre l’univers de ce Montréal futuriste. Son charme est indéniable et, en plus, il a une belle gueule d’ange! Le parfait gendre que toutes mamans voudraient pour leur fille… ou pour elles-mêmes !!
- un clin d’œil discret. À la page 24, ne serait-ce pas la fée Clochette de Loisel qu’on peut apercevoir sur la tasse du beau Riel? Ce ne serait pas étonnant, compte-tenu des chaleureux remerciements que Labrosse adresse à l’auteur de Peter Pan, de la Quête de l’oiseau du temps, de Magasin général et du Grand mort !!
- mon ex-libris! Et oui, Planète BD a fait éditer une autre petite illustration originale, format carte postale, montrant le beau Riel et sa nouvelle copine Nève. Celle-ci se rajoute à ma collection!
Ce qui m’a le plus agacé :
- la calligraphie des textes. Certaines lettres étaient parfois formées étrangement ou se retrouvaient trop collées sur la suivante, ce qui rendait occasionnellement la lecture difficile.
- certaines structures de phrases qui grincent ou qui sont carrément erronés. J’apprécie bien que le texte tende vers le québécois, mais pas au point de colporter des phrases à la syntaxe boiteuse ou approximative (surtout que nos copains européens risquent de prendre ces tournures de phrases pour des québécismes, alors qu’elles ne sont que des erreurs). Par exemple, cette phrase de la page 31 : «Mais vous, lieutenant, comme tous les fonctionnaires, les vaccins vous sont offerts gracieusement…» ne devrait-elle pas se lire «Mais À vous, lieutenant, comme À tous les fonctionnaires, les vaccins vous sont offerts gracieusement…» ?
- une erreur de perspective à la page 32, première vignette. Le trou dans lequel se trouvent les fauteuils, entre les deux personnages, laisse présumer que le divan du fond devrait être bien plus petit, parce que plus loin. Cela fausse toute la dimension de la salle.
- quelques choix esthétiques discutables. Ainsi, le complexe de la compagnie Jouvence nous est présenté comme une espèce de grosse baudruche, au sommet du mont Royal. À la limite, qu’il soit difforme ne me dérange pas trop… mais qu’il fasse quatre à cinq fois la hauteur ET la largeur de l’oratoire Saint-Joseph, c’est d’un gigantisme tout à fait ridicule!! Je veux bien croire que cette compagnie fait de l’argent comme de l’eau, mais il y a des limites à l’exagération!!
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